Plan du Site du Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle : cliquez ici



DU VENDREDI 23 JUIN (19H) AU VENDREDI 30 JUIN (14 H) 2006


FLAUBERT, ÉCRIVAIN


DIRECTION : Jacques NEEFS

ARGUMENT :

L’œuvre qui a nom « Flaubert » est indissociable du travail de l’écrivain, et du temps de l’écriture, ce que Flaubert a lui-même amplement décrit, tout au long de sa vie. Cela est mieux connu maintenant, par la correspondance, et par les très nombreuses études qui ont été engagées, depuis longtemps, sur la genèse des œuvres, sur les manuscrits, notes et documents qui font le continent « Flaubert ».

Cette rencontre vise à formuler ce que l’on peut interpréter maintenant d’une telle forme du travail d’écrire, conçu comme absorption dans l’œuvre. Elle s’attachera à comprendre ce que représente l’invention d’une telle prose narrative, qui se voulait absolument nouvelle, dans ses liens ironiques avec les savoirs (scientifiques, religieux, mythiques, philosophiques), avec le politique (en particulier avec la question des opinions et de l’espace démocratique), et dans sa dimension proprement esthétique.

Des exposés seront consacrés tout particulièrement à Madame Bovary (qui aura cent cinquante ans fin 2006), aux effets de ce roman dans l’histoire de la prose, et aux reprises qui en ont été faites (adaptations, traductions, réécritures), ainsi qu’à Bouvard et Pécuchet, l’œuvre ultime, à sa profondeur critique, à ses dimensions encyclopédiques, à son étrange modernité. Mais le colloque s’attachera d’abord à l’ensemble des écrits signés Flaubert.

CALENDRIER DÉFINITIF :

Vendredi 23 juin
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée:
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Samedi 24 juin
Matin:
JACQUES NEEFS: Introduction
Pierre-Marc DE BIASI: Bio-graphie
Claude DUCHET: Référence parlée, le statut de la référence dans les Œuvres de jeunesse

Après-midi:
Gisèle SÉGINGER: Philosophie de l'art, Flaubert et Hegel
Jeanne BEM: La densité de l'écriture, Madame Bovary

Soirée:
Robert BOBER: Flaubert en audiovisuel (émissions de Pierre Dumayet et Robert Bober consacrées à Flaubert)


Dimanche 25 juin
Matin:
Anne HERSCHBERG PIERROT: Les styles de la prose
Henri MITTERAND: A la recherche du rythme

Après-midi:
Philippe DUFOUR: Flaubert et l'écriture intime
Eric BORDAS: Relances rythmiques et retombées romanesques

Soirée:
Robert BOBER: Flaubert en audiovisuel (émissions de Pierre Dumayet et Robert Bober consacrées à Flaubert)


Lundi 26 juin
Matin:
Eric LE CALVEZ: Génétique de la disparition
Marshall OLDS: Flaubert lacunaire : une esthétique de l'ellipse

Après-midi:
Kazuhiro MATSUZAWA: Une lecture socio-génétique de Madame Bovary
Norioki SUGAYA: Emma et la Guérine
Michal GINSBURG: Madame Bovary à Jérusalem

Soirée:
Mary DONALDSON-EVANS: De la page à l'écran : les avatars cinématographiques de Madame Bovary


Mardi 27 juin
Matin:
Emily APTER: Le "capital" de Flaubert : Eleanor Marx et la traduction de Madame Bovary
Françoise GAILLARD: La post production du sens

Après-midi:
REPOS

Soirée:
Éditions numériques, travaux en cours :
Jacques NEEFS: Flaubert hypertexte ?
Stéphanie DORD CROUSLÉ: Les dossiers de Bouvard et Pécuchet
Pierre-Marc DE BIASI & Sylvie GIRAUD: Saint Julien l'Hospitalier


Mercredi 28 juin
Matin:
Isabelle DAUNAIS: Flaubert, passeur du roman
Entretien avec Pierre MICHON par Anne HERSCHBERG PIERROT, Isabelle DAUNAIS et Pierre-Marc DE BIASI

Après-midi:
Table Ronde : Ecriture, points de vue et savoirs, avec Tadataka KINOSHITA (Système des noms propres dans le style indirect libre: L'Education sentimentale), Mitsumasa WADA (Haine et fascination de la masse insignifiante chez Flaubert)

Table Ronde : Flaubert sans frontière, avec Kayoko KASHIWAGI (Flaubert et le japonisme), Aurélie BARJONET (Flaubert en Allemagne), Tomoko MIHARA (Flaubert au Japon)


Jeudi 29 juin
Matin:
Göran BLIX: Flaubert, Tocqueville, la démocratie
Claude MOUCHARD: La religion de l'art

Après-midi:
Table Ronde : Mythes, religions et savoirs, avec Florence VATAN (Lectures du merveilleux médiéval : Gustave Flaubert et Alfred Maury), Ildiko LORINSZKY (Quand le soleil avait rendez-vous avec la lune...), Agnès BOUVIER (L'orgie des savoirs : le festin de Salammbô et le Banquet des savants), Cécile MATTHEY (Itinéraire d'une croyance, dans Hérodias), Atsuko OGANE (La genèse de la danse de Salomé)


Vendredi 30 juin
Matin:
Shiguehiko HASUMI: Madame Bovary et la fiction
Jacques NEEFS: Les voix de la prose

Après-midi:
DÉPART DES PARTICIPANTS

RÉSUMÉS :

Emily APTER : Le "capital" de Flaubert : Eleanor Marx et la traduction de Madame Bovary
Eleanor Marx, la fille de Karl Marx, publie la première traduction anglaise de Madame Bovary en 1886, la même année où paraît (en anglais) le premier tome de Das Kapital (sur lequel Eleanor Marx avait également travaillé). Si l'on peut spéculer que Marx a donné au monde anglo-saxon un Flaubert imprégné d’accents marxisants (surtout dans son choix de mots pour la richesse), il est encore plus sûr qu’elle offre dans sa préface une sorte de “labor theory of translation,” un modèle de textualité travailleur, qui mérite l’élaboration. Le status de la femme-traductrice, de la femme écrivain manquée, du texte “prolétaire” suborné à l’original – tous ces thèmes sont mis enrapport par ce cas très particulier de la traduction.
En 1965 Paul de Man reprend le texte d’Eleanor Marx pour la Norton Edition et, en 2004, la même édition est republiée par Norton. Comment expliquer la longue survie d’une  traduction, louée pour sa fidélité au souffle de Flaubert mais flétrie de fautes et accusée même de “pathologie” par de Man ? De Marx à Paul de Man, une lignée se trace, remplie de controverses et de mystères. Cette histoire de traduction prend une allure tragique lorsqu’on se rend compte qu’Eleanor s’est suicidée exactement comme Emma, prenant du poison après avoir compris qu’elle était au bord de la ruine financière et trahie par son compagnon, le socialiste Edward Aveling.
Pour cette “biographie d’une traduction”,  je propose un travail textuel assez détaillé afin de montrer à quel point la réception de Flaubert dans le monde anglophone a été marquée par la maison de Marx, et à quel point le travail d’Eleanor Marx nous permet d’esquisser une théorie de la traduction fondée sur la notion de propriété intellectuelle.

Aurélie BARJONET : Flaubert en Allemagne
La réception allemande contemporaine de Flaubert fut timide voire réticente. C’est un peu plus tard, avec la diversification des goûts des lecteurs à la fin du XIXe siècle et surtout l’intérêt des grands romanciers allemands au début du XXe siècle, que Flaubert est véritablement entré dans le canon allemand et étranger des « grands romanciers français du XIXe siècle ». Il représente aujourd’hui un classique de la littérature mondiale. Je souhaite m’intéresser aux créations allemandes, et essentiellement aux créations théâtrales, dérivées de l’œuvre de Flaubert. « Gustave n’est pas moderne » lançait Armando Llamas en 1990, non sans provocation. La réception productive, régulière, de son œuvre, montre que Flaubert est un classique. Mais est-il moderne ? C’est sous cet angle que je voudrais examiner quelques œuvres allemandes dérivées, ainsi que leur réception journalistique.

Jeanne BEM : La densité de l'écriture, Madame Bovary
Entre les œuvres de jeunesse de Flaubert, inédites, et Madame Bovary, il se produit un basculement dans son écriture. Flaubert, on l’a dit, invente une nouvelle prose pour le roman. Le romancier lui-même avait conscience d’innover, même si nous ne partageons pas nécessairement sa façon de percevoir et de formuler ses innovations. Pour les définir, les lecteurs, la critique, prennent en compte surtout des unités telles que : la phrase, le paragraphe, la page (pour les brouillons), la scène ou l’épisode. Ayant ces dernières années fréquenté le roman de près, je me propose de mettre l’accent sur le texte dans son ensemble, dans la dimension des réseaux textuels, ce qu’on appelle parfois « la mémoire du texte ». Comme l’écrivait déjà Claudine Gothot-Mersch dans La Genèse de « Madame Bovary » : « Tout se tient, tout est lié ; par quelque bout qu’on saisisse le fil, la bobine se dévide tout entière ». Idée que reprend Alan Raitt dans The Originality of « Madame Bovary » : « The tightly knit structure of Madame Bovary is one of the main reasons why it conveys such a sense of inevitability and fatality ». Les œuvres de jeunesse ne fonctionnent pas sur le principe du réseau. Or Madame Bovary est un roman qui doit sa densité, si souvent remarquée, aux réseaux, dont l’intégration dans le fonctionnement textuel commande en partie le travail du style et le travail de composition. Il me semble aussi qu’après Madame Bovary, si Flaubert n’a pas renoncé à cette dimension verticale et transversale du texte, il n’a plus jamais poussé ce principe aussi loin, comme si l’énergie innovante s’était épuisée dans cette première expérience.

Göran BLIX : Flaubert, Tocqueville, la démocratie
Le point de départ de cette communication est un rapport stylistique entre Tocqueville et Flaubert, qui, tous les deux, ont développé dans les années 1850 une langue froide, précise, ironique, et détachée (dans Madame Bovary et L’Ancien régime et la Révolution). Leurs styles, bien que différents, reflètent d’une manière complexe l’évolution politique sous le Second Empire – recul simultanée de la démocratie et progrès de la culture bourgeoise – qui nous incite à poser la question d’une possible esthétique de la pensée démocratique. A quel point le classicisme de Tocqueville et le modernisme de Flaubert (à bien des égards très proches) sont-ils une réponse artistique au processus de la démocratisation? le favorisent-ils, ou, au contraire, lui font-ils obstacle – et comment ?

Eric BORDAS : Relances rythmiques et retombées romanesques
Un des faits de style les plus remarquables et les plus originaux de Flaubert est incontestablement son goût de la clausule déceptive, en fin de chapitre ou en fin de séquence textuelle. "Et ce fut tout" est l'exemple le plus radical: il n'est pas le seul. On se propose d'étudier les modalités, les usages et les variations, la poétique en somme, de ce repère dans la prose narrative de Flaubert. En somme, on souhaite envisager le passage du fait de style au trait de style, comme passage de l'exemplification à la valorisation, mouvement dans lesquel se concrétise "le style" comme présence. Cette étude devrait permettre surtout de penser le rythme romanesque, dans sa valorisation stylistique, précisément, comme un phénomène large, savamment dramatisé par Flaubert, de la phrase du texte, dans le discours et les silences des paroles.

Agnès BOUVIER : L'orgie des savoirs : le festin de Salammbô et le Banquet des savants
L'un des intertextes majeurs de Salammbô est sans nul doute le Banquet des savants (Deipnosophistes) d'Athénée, que Flaubert lit au cours de la première campagne de recherches menée en août 1857 et dans lequel il a trouvé la première mention du peplos d'Astarté (qui deviendra le zaïmph). Les notes de lecture sur ce texte constituent l'un des plus importants dossiers conservés à la Bibliothèque municipale de Rouen. L'analyse génétique du corpus permet de mettre en rapport l'écriture de Salammbô, en particulier celle du premier chapitre, avec tout un pan de la littérature antique: les "livres de banquet" ou la succession des plats correspond à l'exposition des savoirs — véritables encyclopédies qui, par le moyen d'une énonciation fictive, articulent mets et mots et invitent à ingérer le dit sur le monde. Du Banquet des savants au festin des mercenaires, l'écriture de Flaubert digère les savoirs en même temps qu'elle les absorbe dans la fiction. C'est à un "repas de paroles" (pour reprendre les mots d'Athénée dans sa préface) que nous sommes conviés.

Isabelle DAUNAIS : Flaubert, passeur du roman
Récemment, Thomas Pavel posait la question de la façon dont le roman se transmet au fil du temps (La pensée du roman, 2003) : en l'absence de toute règle, par quels relais le roman assure-t-il sa continuité et élabore-t-il son histoire ? Si le roman n'est assujetti à rien qui le précède, on peut poser l'hypothèse que la transmission du roman se fait paradoxalement par ce qu'il découvre : chaque grand roman peut en effet se définir comme la découverte ou la saisie d'un aspect jusque-là inexploré du monde, et dont l'un des effets est de donner au genre même le moyen de se poursuivre. Si Flaubert, ainsi que l'exprimait Proust, « a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant avec ses Catégories », par quelle(s) découverte(s) a-t-il assuré ce renouvellement ? Il s'agira de répondre à cette question à partir des légataires, c'est-à-dire des romanciers tels qu'ils ont vu dans l'œuvre de Flaubert le lieu d'un passage du roman.

Mary DONALDSON-EVANS : De la page à l'écran : les avatars cinématographiques de Madame Bovary
Les adaptations cinématographiques de Madame Bovary — j’en ai repéré dix-huit — nous renseignent sur la façon dont “le mythe Bovary” se plie aux besoins de diverses époques et cultures. Loin de juger les adaptations sur leur prétendue “fidélité” au roman (concept qui est aujourd’hui récusé par la plupart des critiques), cette communication  examinera les contraintes qui pèsent sur les cinéastes-adaptateurs, les solutions (parfois ingénieuses) qu’ils choisissent pour les contourner, et le sens profond de l’irrésistible séduction exercée par le chef d’œuvre de Flaubert sur les cinéastes. La communication comprendra des extraits de plusieurs adaptations.

Références Bibliographiques :

“A Pox on Love : Diagnosing Madame Bovary’s Blind Beggar”. Symposium 44, 1 (Printemps, 1990), 15-27
“Teaching Madame Bovary through Film”. Approaches to Teaching Madame Bovary (New York : Modern Language Association of America, 1995), 114-121

Articles d’Encyclopedie :
“Film Adaptations of Flaubert’s Works” (128-30)
“Claude Chabrol” (53-4)
“Vincente Minnelli” (222-24)
“Jean Renoir” (270-71) dans Gustave Flaubert Encyclopedia, ed. Laurence Porter (Westport CT :  Greenwood Press, 2001)
“A Medium of Exchange : The Madame Bovary Film” (Dix-Neuf, No. 4 (April 2005)


Stéphanie DORD CROUSLÉ : Les dossiers de Bouvard et Pécuchet
Roman posthume et inachevé, Bouvard et Pécuchet, pose des problèmes d'édition considérables puisque son « second volume » est resté à l’état de chantier. À partir des nombreux documents préparatoires rassemblés par Flaubert (2215 feuillets conservés aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de Rouen), plusieurs reconstitutions conjecturales de la partie manquante ont déjà été proposées sous forme imprimée. Néanmoins, seule une édition électronique serait en mesure de présenter — sans trahir leur complexité — à la fois l'intégralité des feuillets dans leur double dimension documentaire et génétique, et une construction hypothétique du "second volume" intégrant activement la question de sa configuration mouvante.

Références Bibliographiques :

Bouvard et Pécuchet de Flaubert, une « encyclopédie critique en farce », Paris, Belin, coll. « Belin-Sup Lettres », 2000, 139 p
« Flaubert et la “religion moderne”. À partir du dossier “Religion” de Bouvard et Pécuchet » ; in Revue Flaubert [publication sur le Site Flaubert : http://www.univ-rouen.fr/flaubert], n°4-2004, « Flaubert et les sciences », 2005, p.1-14 (+ 8 p. d’annexe : « La composition du dossier “Religion” – Mss g226 (6) »)
« Un dossier flaubertien mal connu : les notes pour le chapitre “Littérature” de Bouvard et Pécuchet » ; à paraître dans Histoires littéraires, n°24, à l’automne 2005
« Éditer Flaubert : du papier à l’écran. Parcours parmi les textes et les  avant-textes » ;  à paraître dans l’édition des actes du séminaire de Bergen Université de Bergen / AKSIS – Université Lumière Lyon 2-CNRS / LIRE : Publication et lecture numériques. Défis et processus engagés par l’édition critique et les activités de lecture sur supports numériques, sous la dir. de Philippe Régnier
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, avec des fragments du « second volume » dont le Dictionnaire des idées reçues, éd. annotée par Stéphanie DORD-CROUSLÉ avec un dossier critique, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1999,  482 p


Philippe DUFOUR : Flaubert et l'écriture intime
Il s’agira de montrer comment à partir d’un modèle générique bien établi (le roman intime), Flaubert élabore sa propre écriture. Il compose Les Mémoires d’un fou et Novembre sous influence, dans le sillage de René ou de La Confession d’un enfant du siècle. Il trouve chez ses devanciers un style en rupture avec l’esthétique classique, désécrivant les maximes, cultivant l’alliance de mots, exprimant par là même une nouvelle psychologie, qui remet en cause la notion de caractère, y substitue la cyclothymie, l’ambivalence (là où le moraliste démêlait). Hyperbolisant cette écriture de l’intimité tourmentée, Flaubert ajoute, comme en contrepoint, un autre langage de l’intime, attentif aux « petites perceptions » : à côté de l’intellect ou du sentiment, il figure, composante inédite de la psyché, la conscience sensible. Une prose du presque rien dit alors l’heureuse hébétude d’un moi dépersonnalisé.

Michal GINSBURG : Madame Bovary à Jérusalem
Une comparaison de Madame Bovary avec le roman de l'écrivain israélien Amos Oz, Mon Michel (Mikhaël Sheli). Le but de cette étude n'est pas de définir l'influence de Flaubert sur Oz, mais de réfléchir sur la façon selon laquelle l'identification et l'altérité (c'est-à-dire les éléments constitutifs de ce que nous appelons l'influence) figurent dans ces deux textes.

Anne HERSCHBERG PIERROT : Les styles de la prose
Dans sa correpondance, Flaubert exprime l’idéal d’une prose singulière de l’œuvre, qui accompagne la genèse de ses romans, face à la multiplicité des « specimens de tous les styles », à la multitude des discours. L’écriture des romans, toutefois, met en œuvre une singularité de style faite d’une différenciation des styles de la prose qui, surtout à partir de Salammbô, joue avec l’érudition. L’on s’intéressera à cette écriture de l’érudition, aux styles d’une prose érudite, notamment à ce qui la met en mouvement, à ce qui la différencie et à sa relation à l’ironie, dans l’œuvre inclassable qu’est Bouvard et Pécuchet.

Tadataka KINOSHITA : Système des noms propres dans le style indirect libre : L'Education sentimentale
L'emploi presque interdit jusqu'à maintenant de noms propres renvoyant au sujet de l'énonciation semble aujourd'hui approuvé dans le style indirect libre. Depuis Le Style indirect libre de M. Lips (1926), en passant par Le Temps de H.Weinrich (1964, 1973), jusqu'à la Stylistique de la prose d'Anne Herschberg Pierrot (1993), et sauf G. Genette, presque tous les chercheurs ont refusé la transposition du "JE" du personnage en nom propre désignant ce personnage même dans le style indirect libre. Or, chez Flaubert, de Madame Bovary jusqu'à Bouvard et Pécuchet, cet emploi des noms propres dans l'indirect libre devient de plus en plus fréquent. Ce procédé stylistique constituant, ainsi, l'un des principes fondamentaux de l'écriture flaubertienne, il nous permettra une nouvelle lecture jamais tentée jusqu'à maintenant de L'Education sentimentale. En effet, l'abondance de cet emploi des noms propres convertira ce roman à la troisième personne en roman-souvenir raconté par le personnage principal qui ne se dit jamais "JE", mais qui, suivant le principe flaubertien de l'impersonnalité, se désigne toujours par le pronom de la troisième personne ou son nom propre "Frédéric". Si ce nom propre peut être interprêté comme "JE" déguisé, donc point central de focalisation, d'autres noms propres représentant d'autres personnages devraient être considérés et définis par rapport à ce personnage-focal et cela en termes de rapports sociaux et culturels. Ainsi, l'emploi des noms propres dans l'indirect libre constituera un système des noms propres représentant de la valeur sociale distribuée à chaque personnage à partir du jugement de valeur du personnage principal. Je voudrais démontrer l'existence de ce système des noms propres.

Eric LE CALVEZ : Génétique de la disparition
Cette communication reviendra sur les manuscrits de L'Education sentimentale. Adoptant un peu de vue résolument théorique dans la perspective d'une narratologie des brouillons d'écrivains, elle tentera de déterminer les modes de formation et de transformation d'une saynète jusqu'à sa disparition (elle aurait dû figurer dans la scène au cours de laquelle Frédéric se rend chez les Dambreuse pour plaider la cause d'Arnoux), puisque, contre toute attente, Flaubert décide de la supprimer au cours de son élaboration.

Kazuhiro MATSUZAWA : Une lecture socio-génétique de Madame Bovary
Flaubert s'inscrit dans une tradition littéraire qui pense que la démocratie introduit un esprit d'égalité sociale, de nivellement au sein de la littérature. Or, la définition psychologique du bovarysme proposée en 1892 par J. Gautier, fondée sur le dualisme du réel et de l'imaginaire, a exercé dès lors l'influence la plus décisive sur la lecture de Madame Bovary, sans pour autant pouvoir rendre compte suffisamment de ce désir insatiable d'ascension qui pousse et attire non seulement Emma mais aussi Homais et Lheureux. Notre effort d'interprétation socio-génétique du roman donnera à la notion de bovarysme une nouvelle portée qui permettra d'examiner l'univers diégétique du roman à la lumière de « l'envie démocratique postromantique ».

Henri MITTERAND : A la recherche du rythme
Ce qu’écrit Michel Collot à propos de Nerval : “C’est souvent le chant qui engendre la vision”, pourrait se dire aussi de Flaubert. On le lit et on le reconnaît par l’oreille, parce qu’il a travaillé à l’oreille. C’est bien connu, et l’on a souvent évoqué son “gueuloir”. Et pourtant, les critiques flaubertiens se sont peu intéressés à cet aspect de son écriture : le calcul des accents, des intonations, du débit, des cadences, bref de la prosodie. La génétique flaubertienne gagnerait sans doute à prendre en compte non seulement son travail sur le contenu scénarique et descriptif de l’œuvre, des esquisses aux scénarios puis aux brouillons, mais aussi son travail sur l’expression (au sens hjelmslevien du terme). On essaiera de fournir quelques exemples de cette recherche, à partir des fragments de manuscrits de L’Education sentimentale publiés par Eric Le Calvez, et en prenant appui sur les travaux théoriques et appliqués de Pierre Léon, Henri Meschonnic, Gérard Dessons, entre autres.

Références Bibliographiques :

« Flaubert et le style », Bulletin des Amis de Flaubert, 1964
« Parole et stéréotype : le « socialiste », de Flaubert », in Henri Mitterand, Le Discours du roman, Paris, P.U.F., 2e édition, 1986, pp. 213-229
« L’acception ironique de l’existence , Flaubert ». In Henri Mitterand, Le Regard et le signe, Paris, P.U.F., 1987, pp. 11-26
Le corps féminin et ses clôtures : L’Education sentimentale – Thérèse Raquin, ibid. pp.107-128
« Sémiologie flaubertienne : Le Club de l’Intelligence »,  ibid., p.171-190
« Flaubert : les jeux du regard », in Henri Mitterand, L’Illusion réaliste, Paris, P.U.F., 1994, pp. 33-48
Henri Mitterand, Emile Zola, Ecrits sur le roman, Paris, Le Livre de Poche, Références, 2004
Henri Mitterand, Zola (biographie), Paris, Fayard, t.I, 1999 ; t. II, 2001


Atsuko OGANE : La genèse de la danse de Salomé
La dernière œuvre est souvent un testament littéraire et l’aboutissement rêvé d’un auteur. Hérodias, achevée et publiée du vivant de Flaubert, dernier conte des Trois Contes, constitue le testament de l’écrivain et l’apogée de son écriture. Mais ce testament littéraire est aussi le premier texte où « la danse de Salomé » est concrètement représentée dans la littérature française. Quelle est l’originalité de Flaubert et quelle est la portée de sa contribution dans la formation de ce grand mythe ? Pour les mettre en évidence, nous voudrions d’abord interpréter le symbolisme et le caractère de Salomé dans Hérodias avant de les comparer avec des contemporains de Flaubert dont notamment Gustave Moreau, Mallarmé et Oscar Wilde. Cette communication sera consacrée à l’étude intertextuelle de la formation de l’image de la « femme fatale » à la fin du XIXe siècle.

Marshall OLDS : Flaubert lacunaire
Suite au travail de l’avant-texte – travail d’élaboration, de concision, et souvent d’ellipse – Flaubert pouvait laisser persister dans la diégèse des blancs, résultant de l’effacement de sèmes dont l’absence motive une nouvelle production du sens. Cette communication aura pour objet de relever les conséquences de cette pratique et d’indiquer en quoi le texte flaubertien se construisant autour de ces vides tend vers une esthétique de l’omission.

Gisèle SÉGINGER : Philosophie de l'art : Flaubert et Hegel
Si Flaubert manifeste son hostilité à la philosophie — refusant lui-même de produire des théories sur l'art — cependant sa correspondance et son travail dans les manuscrits nous apportent les éléments pour faire l'archéologie d'une réflexion et d'une pratique de l'art. Il reprend des philosophèmes, des modèles d'intelligibilité qu'il déplace, transforme, condense. Le rapport de sa réflexion à la philosophie de Hegel — référence importante et pourtant presque occultée dans la correspondance — est un cas intéressant. Flaubert lit et prend des notes sur l'Esthétique à deux reprises, tandis qu'il finit L'Éducation sentimentale de 1845 et élabore dans ses lettres les premiers éléments d'une nouvelle esthétique, puis dans les années 1870 tandis qu'il prépare Bouvard et Pécuchet. Les notes, la correspondance et la fiction montrent l'ambiguïté de la position du romancier à l'égard du philosophe, entre fascination et critique.

Norioki SUGAYA : Emma et la Guérine
Cette communication sera consacrée à la microlecture d’un passage jusqu’ici peu commenté de Madame Bovary. À la fin du chapitre V de la deuxième partie, on lit en effet un petit épisode relatif aux « vapeurs » de la Guérine, personnage qui ne reviendra plus dans la suite du roman. Cet épisode, à première vue tout à fait accessoire, ne peut se comprendre pleinement que si on le met en opposition avec les « crises » nerveuses de l’héroïne. Un coup d’œil sur le savoir médical de l’époque (avant Charcot et Freud) permettra de saisir le sens de cette opposition, savamment construite par Flaubert au cours du processus génétique. On essaiera ainsi de redonner à l’hystérie d’Emma toute sa complexité et toute sa force transgressive, et par là, de nous interroger à nouveau sur la modernité même de l’écriture flaubertienne.

Florence VATAN : Lectures du merveilleux médiéval : Gustave Flaubert et Alfred Maury
Gustave Flaubert et Alfred Maury portent sur le merveilleux médiéval un regard nourri de connaissances médicales. Leur recours à la médecine poursuit cependant des visées divergentes. Maury mobilise le vocabulaire de la pathologie pour dépouiller les légendes médiévales de leur aura mystique et condamner les œuvres d’imagination comme pétries d'obscurantisme. Flaubert, pour sa part, tout en faisant écho dans La Légende de Saint Julien L’Hospitalier aux thèses de Maury sur les hallucinations et le rêve, offre une réponse critique au scientisme réducteur et au rationalisme intransigeant de l'historien. Les relations entre Flaubert et Maury sont symptomatiques du rapport d’émulation que Flaubert entretient avec ses amis savants. L'enjeu est de redéfinir, par le travail de l'écriture, le statut de la littérature face aux savoirs.

Mitsumasa WADA : Haine et fascination de la masse insignifiante chez Flaubert
La Correspondance de Flaubert dans les années 1870 fourmille d'invectives contre le suffrage universel, l'instruction du peuple, la démocratie en tant que domination du nombre, de la masse. En revanche, dans la Tentation et Bouvard, l'accent semble mis, surtout au moment du dénouement, sur le bonheur provenant d'une masse insignifiante et presque indiscernable, qu'on ne peut reconnaître que quantitativement. La « petite masse globuleuse » dans la Tentation et les « masses des vieux papiers » « achetés au poids » dans Bouvard en sont les deux exemples les plus frappants. Une déshumanisation de la masse suffit-elle pour que la haine se transforme en euphorie ? Dans quelle mesure la haine exprimée dans la Correspondance peut-elle être la contrepartie de la fascination de la masse insignifiante que les derniers textes de Flaubert ne cessent de mettre en scène ?


Avec le soutien de l’Université de Paris VIII (« Littérature et Histoire »),
de l’Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) et l’Université Johns Hopkins




Pour nous contacter : cliquez ici