Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


LE HASARD, LE CALCUL ET LA VIE


DU MERCREDI 28 AOÛT (19 H) AU MERCREDI 4 SEPTEMBRE (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Thierry GAUDIN, Dominique LACROIX (†), Marie-Christine MAUREL, Jean-Charles POMEROL


ARGUMENT :

À la suite du colloque de 2016 "Sciences de la vie, sciences de l'information"(1), il est apparu que le "concept" de hasard jouait un grand rôle dans les interrogations de plusieurs orateurs aux spécialités diverses : biologistes, informaticiens, mathématiciens, philosophes. "Concept" entre guillemets car il s'agit d'une notion mal définie, polysémique et cependant omniprésente, depuis l'échelle moléculaire jusqu'à celle des écosystèmes et des systèmes économiques et sociaux. Ce hasard qui, comme on a pu le dire, est "la signature de Dieu quand il ne veut pas se dévoiler", fascine.

C'est pourquoi, il semble important d'organiser un nouvelle rencontre pour essayer de comprendre ou au moins préciser ce qui se cache derrière cet insaisissable hasard, et cela à partir de différents points de vue : ceux de la biologie et de l'évolution, ceux des mathématiques et de l'informatique, ceux de la physique, de la sociologie et de la philosophie. Autour d'éminents spécialistes de ces diverses disciplines qui nous feront partager leurs visions du hasard, ce colloque se propose de réunir un public varié qui pourra confronter les réponses des chercheurs à des questions fondamentales liées aux origines et à l'évolution de la vie, à l'évolution des écosystèmes et des sociétés humaines. Sans prétendre abolir le hasard d'un coup de dés, on espère que la confrontation des hypothèses et l'ouverture des débats, y compris aux auditeurs curieux, permettront d'en saisir maintes nuances ainsi que leurs conséquences scientifiques et philosophiques.

(1) Sciences de la vie, sciences de l'information, colloque de Cerisy, dirigé par Thierry Gaudin, Dominique Lacroix, Marie-Christine Maurel et Jean-Charles Pomerol (Eds), ISTE-Éditions, London, juillet 2017.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 28 août
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Jeudi 29 août
QU'EST-CE QUE LE HASARD EN MATHÉMATIQUES ?
Matin
Gregory MIERMONT : Les trois hasards mathématiques
Gilles PAGÈS : De quoi le hasard est-il le nom ?

Après-midi
Jean-Paul DELAHAYE : Calcul, hasard, évolution et éthique
Stéphane DOUADY : Du chaos de l'onde-particule à la stabilité du vivant

Has.arts : comment le hasard structure la création ?, avec Patricia LOUÉ et Ivan MAGRIN-CHAGNOLLEAU

Soirée
Étienne GHYS : Le chaos : une aventure mathématique [projection vidéo présentée par Gregory MIERMONT]


Vendredi 30 août
Matin
LES RUSES DU HASARD
Gilles DOWEK : Un chaos discret
Martin HAIRER : Pile ou face ? Des atomes aux feux de forêt

Après-midi
LE HASARD ET LA VIE
Mathias PESSIGLIONE : Le hasard dans la décision : quand les neurones tirent à pile ou face
Amaury LAMBERT : Apprendre les statistiques par sélection naturelle

Ateliers en parallèle : "Le monde est-il continu ?" & "Le climat, la décision"

Soirée
Bertrand VERGELY : Le divin hasard, avec Jean-Baptiste de FOUCAULD


Samedi 31 août
Matin
HASARD ET SOCIÉTÉ
Hervé LE TREUT : La COP21, 4 ans après ?
Ivar EKELAND : Hasard et équité

Après-midi
DÉTENTE


Dimanche 1er septembre
Matin
HASARD ET ÉVOLUTION
Giuseppe LONGO : La spécificité du hasard et du temps dans les sciences de la vie
Philippe GRANDCOLAS : Les trajectoires évolutives des organismes ne sont pas stochastiques

Après-midi
GÉNOME ET HASARD
Alessandra CARBONE : Effets phénotypiques des mutations, évolution des séquences et calcul
David SITBON : Dynamique de la chromatine, hasard et nécessité ?

Soirée
HASARD ET POÉSIE
Georges AMAR : Le sens de la vie (Pour une critique poétique de l'omni-science). Éléments de bio-poétique


Lundi 2 septembre
Matin
QUAND L'ACQUIS DEVIENT HÉRÉDITAIRE
Jonathan WEITZMAN : Le paysage épigénétique… et le hasard [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site France Culture]
Bernard DE MASSY : Évoluer par hasard

Après-midi
HASARD ET ÉVOLUTION
Silvia DE MONTE : Écologie et évolution de la fonction collective
Guillaume ACHAZ : Le hasard explique-t-il "correctement" la biodiversité ?

Soirée
HASARD QUANTIQUE
François VANNUCCI : Le hasard sous contrôle


Mardi 3 septembre
Matin
PLACE DU HASARD EN BIOLOGIE
Bernard DUJON : Quand l'acquis devient héritable : la leçon des génomes
Antonio LAZCANO : Chance, determinism and the emergence of life

Après-midi
LE NOM DU HASARD
Marco SAITTA : Approches d'exploration assistée par ordinateur d'espaces chimiques prébiotiques
Clarisse HERRENSCHMIDT : Les mots du hasard et ce qu'ils véhiculent

Soirée
HASARD EN COSMOLOGIE
Michel CASSÉ : Création hasardeuse de multiples cosmos


Mercredi 4 septembre
Matin
LE HASARD ET L'HUMAIN
Introduction, par Thierry GAUDIN, Marie-Christine MAUREL et Jean-Charles POMEROL
Table ronde et conclusions

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Guillaume ACHAZ : Le hasard explique-t-il "correctement" la biodiversité ?
Depuis la formalisation des sciences de l'écologie et de l'évolution du début du XXe siècle, ont été discutés à maintes reprises les rôles relatifs des processus stochastiques et déterministes comme causes de la biodiversité, mesurée tant entre les espèces qu'au sein des espèces. En évolution, le hasard a d'abord occupé une place timide (1930-1970), puis est devenu la cause majeure expliquant la diversité (1970). En écologie, son rôle est a contrario resté mineur, malgré plusieurs tentatives d'introduction. Quels sont les observations permettant d'alimenter le débat ? La question du rôle relatif de ces deux processus est-elle bien posée ? Tous les organismes sont-ils soumis au même régime ? Nous explorerons plusieurs pistes de réflexion autour de ces questions.

Jean-Paul DELAHAYE : Calcul, hasard, évolution et éthique
La complexité de Kolmogorov et la profondeur logique de Bennett sont des concepts mathématiques qui aident à comprendre les ordinateurs, à parler de leur puissance, et surtout à donner un sens précis au mot "complexité" quand on l'applique à des objets numériques finis et plus généralement quand on l'applique aux objets du monde qu'ils soient inertes ou vivants. Ces concepts suggèrent une analyse de ce qu'est l'évolution de l'univers en termes non matériels et non énergétiques. Ils conduisent aussi à une définition du hasard. Les chercheurs qui ont contribué à cette vision informationnelle et computationnelle de l'univers construisent petit à petit une interprétation nouvelle de l'évolution cosmique comme un progrès du calcul. Certains en ont même déduit des considérations éthiques. Parmi les plus importants de ces chercheurs mentionnons Andrei Kolmogorov, Leonid Levin, Gregory Chaitin, Charles Bennett, John Mayfield, Luciano Floridi, Seith Lloyd et plus récemment Hector Zenil, Cédric Gaucherel et Clément Vidal. Notre but sera d'introduire à ce domaine original et novateur souvent mal compris.

Bibliographie
John Mayfield, The Engine of Complexity : Evolution as Computation, New York, Columbia University Press, 2013.
Hector Zenil, Irreducibility and computational equivalence, Springer, 2015.
Jean-Paul Delahaye & Clément Vidal, "Universal Ethics : Organized Complexity as an Intrinsic Value", in Evolution, Development and Complexity : Multiscale Evolutionary Models of Complex Adaptive Systems, Edited by Georgi Yordanov Georgiev, Claudio Flores Martinez, Michael E. Price & John M. Smart, Springer, 2018.

Bernard DUJON : Quand l'acquis devient héritable : la leçon des génomes
Envisagée un temps comme force de l'évolution biologique avant d'être clairement réfutée par la Génétique, l'hérédité de l'acquis réapparait aujourd'hui dans les génomes. Mais alors que l'hypothèse initiale subordonnait les gènes à leurs fonctions, ce qu'excluent les faits, son avatar en fait les maitres d'œuvre du processus. À l'aide d'exemples de résultats récents, j'essaierai de montrer comment l'universalité de l'ADN permet l'acquisition horizontale de gènes étrangers dans les génomes et quelles peuvent être les conséquences de ce processus aléatoire dans l'émergence de nouvelles lignées d'organismes.

Bibliographie
Landman (1991), "The inheritance of acquired characteristics", Ann. Rev. Genet, n°25, 1-20.
Chen, Yan et Duan (2015), "Epigenetic inheritance of acquired traits through sperm RNAs and sperm RNA modifications", Nature Reviews. Genetics, n°17, 733-743.
Soucy, Huang et Gogarten (2015), "Horizontal gene transfer : building the web of life", Nature Reviews. Genetics, n°16, 472-482.

Ivar EKELAND : Hasard et équité
Toute décision humaine est ouverte au soupçon. Le panneau des "juges intègres" a disparu du retable de l'Agneau Mystique, marquant ainsi que ce sont des personnages plus improbables encore que les saints et les martyrs. Le tirage au sort, lui, est insoupçonnable. La démocratie athénienne et la république de Venise l'utilisent pour pourvoir certaines charges publiques. Aujourd'hui encore les jurys sont tirés au sort : imagine-t-on qu'ils soient nommés ? C'est donc comme outil d'équité que le tirage au sort fait son entrée dans la société humaine, le pile ou face étant la balance juste. Il fallait un grand génie des mathématiques, comme l'était Pascal, pour déduire de cette idée simple les premiers calculs des probabilités. Si la théorie mathématique des probabilités s'est aujourd'hui bien éloignée de ses origines, on les retrouve dans certains aspects particuliers, ayant trait au comportement humain justement : théorie des jeux (l'angoisse du gardien de but au moment du penalty), les probabilités subjectives et la théorie de l'arbitrage en finance. Je retracerai ces développements et plaiderai pour la réintroduction du tirage au sort dans les assemblées délibératives.

Publications
I. Ekeland et E. Lecroart, Le hasard, une approche mathématique, Éditions du Lombard (Bande Dessinée), 2016.
I. Ekeland, Le chaos, Éditions du Pommier, 2006.
I. Ekeland, Au hasard, Éditions du Seuil, 1991.
I. Ekeland, Le calcul, l'imprévu, Éditions du Seuil, 1984.

Philippe GRANDCOLAS : Les trajectoires évolutives des organismes ne sont pas stochastiques
Analyser le rôle du hasard et des processus stochastiques dans le Vivant est un très vaste sujet. Il faut poser la question plus précisément pour pouvoir y répondre. Ma réflexion ne concerne pas les aspects moléculaires biologiques qui relèvent de la biologie des systèmes ou de la génétique moléculaire mais l'analyse des trajectoires évolutives des organismes. Ces trajectoires se dessinent d'individus ancêtres à individus descendants et peuvent être reconstruites par les méthodes phylogénétiques qui les interpréteront en termes de cousinages entre organismes. Leur nature implique que des états antérieurs — qu'ils soient anatomiques, morphologiques, comportementaux, moléculaires, etc. — déterminent au moins partiellement des états postérieurs. Si l'on pouvait rejouer de nombreuses fois le film de l'évolution, on obtiendrait vraisemblablement une certaine gamme de possibles mais pas toutes les possibilités imaginables. Cette situation est métaphorisée par des concepts expliquant l'évolution en termes de bricolage ou d'exaptation. Il est intéressant de comparer des interprétations empiriques de ces trajectoires avec des expériences d’évolution menées sur des organismes à temps courts pour comprendre la part déterministe de l'évolution des organismes.

Écologue et systématicien de formation, Philippe Grandcolas est Directeur de recherche au CNRS et Directeur de l'Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, une unité mixte de recherche du Muséum national d'Histoire naturelle, du CNRS, de Sorbonne Université et de l'École Pratique des Hautes Études, comportant deux cents systématiciens et biologistes de l'évolution. Entre autres fonctions internationales, il est Vice-président du Science Comittee du GBIF et Point Focal National GTI France pour la Convention sur la Diversité Biologique. Ses recherches concernent l'évolution des faunes et du comportement des Insectes pour lesquelles il a travaillé sur le terrain dans de nombreux pays tropicaux. Au plan méthodologique, il s'est intéressé à la logique de l'intégration des savoirs sur la biodiversité dans les domaines liant analyse phylogénétique et description taxonomique.
isyeb.mnhn.fr | twitter.com/pgISYEB

Giuseppe LONGO : La spécificité du hasard et du temps dans les sciences de la vie
Le hasard se définit comme "l'imprédictibilité dans la théorie pertinente", de l'effet fluctuation classique de Turing (1950-52), au hasard quantique et biologique. Le hasard et l'irréversibilité du temps sont corrélés dans chacune de ces théories. La physique classique, quantique, la biologie de l'évolution et des organismes, les réseaux d'ordinateurs … présentent chacun des formes propres de hasard et, donc, demandent des analyses différentes du temps. Le hasard n'est pas du "bruit", surtout pas en biologie, où il contribue à la variabilité, donc à la production de diversité et adaptabilité, composantes essentielles de la stabilité structurelle du vivant. Un des défis du hasard en biologie consiste dans l'individuation d'un bon niveau mésoscopique d'analyse, très différent de ceux de la physique statistique et de la microphysique. La nécessaire recherche d'unité inter-théorique est une conquête difficile et non pas un a priori métaphysique.

Giuseppe Longo est directeur de recherche émérite CNRS au Centre Cavaillès, ENS, Paris, et Adjunct professor, School of Medicine, Tufts University, Boston. Il est ancien professeur de logique mathématique puis d'informatique à l'université de Pise.
Publications
G. Longo, Letter to Alan Turing, In print, 2018 [en ligne].
Avec A. Asperti, Categories, Types and Structures. Category Theory for the working computer scientist, M.I.T. Press, 1991.
Avec F. Bailly, Mathematics and the Natural Sciences : The Physical Singularity of Life, Imperial College Press, 2011 (en français, Hermann, 2006).
Avec M. Montévil, Perspectives on Organisms : Biological Time, Symmetries and Singularities, Springer, 2014.
Avec A. Soto, a édité (et co-écrit six articles) d'un numéro spécial de 2016 de la revue Prog Biophys Mol Biol : From the century of the genome to the century of the organism : New theoretical approaches.
Site et articles téléchargeables : di.ens.fr/users/longo/download-random.html

Mathias PESSIGLIONE : Le hasard dans la décision : quand les neurones tirent à pile ou face
Les théories économiques classiques ont défini des critères pour qu'une décision soit rationnelle. Un critère essentiel est la stabilité des préférences : si un agent préfère une option à une autre, il doit le faire en toutes circonstances. Or les agents humains dans leur vie quotidienne bafouent allègrement les critères de rationalité économique. Certains comportements irrationnels ont des causes identifiées, et sont par conséquent considérés comme des biais, comme le biais d'optimisme ou le biais de surconfiance. Ces biais sont généralement expliqués comme le produit indésirable d'une stratégie de décision qui est adaptée en moyenne, c'est-à-dire dans la plupart des situations de l'environnement dans lequel le cerveau a évolué, mais qui peut parfois jouer contre l'intérêt de la personne, notamment dans certaines situations artificielles du monde moderne. Cependant une grande partie des décisions reste imprévisible, malgré les apports théoriques récents des neurosciences. Cette imprévisibilité pourrait provenir de la faiblesse des modèles actuels, et serait dans ce cas résorbée lorsque l'ensemble des facteurs déterminants les choix seront découverts. Mais à l'inverse, il pourrait exister une stochasticité irréductible, inhérente au fonctionnement du cerveau. Pour rester dans un cadre déterministe, cette stochasticité pourrait elle-même provenir d'un mécanisme de génération aléatoire, favorisé par la sélection naturelle, parce qu'il force les individus à explorer et découvrir de nouvelles solutions.

Mathias Pessiglione a reçu une double formation de biologiste et de psychologue. Il dirige une équipe de recherche à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (Paris). Ses recherches portent sur les mécanismes par lesquels le cerveau motive le comportement humain, dans le cas normal et dans les cas pathologiques, en neurologie et en psychiatrie.

François VANNUCCI : Le hasard sous contrôle
En physique classique, il n'y a pas de hasard. La réalité du monde est potentiellement connue hors du temps puisqu'on peut prédire l'avenir en appliquant les équations consacrées. Mais le hasard quantique qui règne dans le monde de l'infiniment petit superpose un autre niveau de réalité qui lui n'est connu qu'après sa réalisation.
Le hasard existe donc au niveau des particules, on ne sait pas prédire la trajectoire d'un électron dans un champ de force, mais ce hasard est contraint par des lois de distribution fondées sur les probabilités. Une population d'électrons se répartira sur des figures connues de diffraction ou d'interférences, le hasard quantique répond à un principe de "déterminisme faible".
Qu'en est-il du hasard de la vie quotidienne ? Une analyse d'occurrence de la chance indique que là aussi une loi mathématique existe.

François Vannucci a publié une douzaine de livres de vulgarisation scientifique : Le miroir aux neutrinos, L'astronomie de l'extrême univers (Odile Jacob), Proust à la recherche des sciences (le Rocher), La relativité, Combien de particules dans un petit pois, La place de l'homme dans l'univers (Le Pommier), Les neutrinos vont-ils au paradis (EdP), Neutrinos et vitesse de la lumière, Mécanique quantique sans douleur, Techniques de détection (Ellipses), Le vrai roman des particules (Dunod).
Depuis l'an dernier, il écrit pour le site "The Conversation". Y ont paru à ce jour douze articles sur les neutrinos, le hasard, Einstein, les rayons cosmiques ou encore la physique nucléaire…

Bertrand VERGELY : Le divin hasard
A priori, rien ne s'oppose plus à la raison que le hasard tout comme rien ne s'oppose plus au hasard que la raison. Qui dit hasard dit hasardeux. Qui dit hasardeux dit absence totale de logique, de cohérence et de maîtrise. Impossible de ce fait de diriger. Impossible de raisonner. D'où la première relation au hasard sous la forme du hasard refusé.
Le hasard pourrait s'arrêter là. C'est sans compter les autres faces de celui-ci.
Quand aujourd'hui, il est question de ne pas avoir une interprétation religieuse du monde, quand il est question donc de récuser l'idée d'une création du monde par un Dieu, c'est le hasard que l'on invoque. Quitte à choisir entre deux commencements absolus et, de ce fait, entre deux créations, mieux vaut cette création sans Dieu appelée hasard que ce hasard religieux appelé Dieu. Quitte à donner également un sens aux phénomènes tant naturels que humains, mieux vaut un explication purement matérielle dépourvue de sens qu'une interprétation religieuse donnant du sens.
Le hasard peut ne pas être simplement obstacle. Il peut être utile à la raison. Son usage polémique le montre. Comme le montre le hasard apprivoisé, son utilité ne s'arrête pas là.
Rentrons dans l'analyse du hasard tel qu'il est vécu. On s'aperçoit que celui-ci n'est pas neutre. Certains hasards sont des occasions, des opportunités, des chances qui se présentent. Les Anciens les appelaient kaïros. Cela s'explique par la logique de l'aléa, mot latin pour désigner le coup de dés ramenant au sens premier du terme hasard signifiant coup de dés en arabe. En bonne logique, quand le hasard est vraiment un hasard, il n'est pas soumis au hasard, mais à l'aléa. Ce qui signifie qu'il peut aller et venir, partir et revenir. Le jeu et, notamment le jeu de dés, a l'art d'en tirer parti pour générer du suspens. Au-delà du jeu de dés, le jeu de la séduction a l'art de le pousser à l'extrême en se faisant hasard. Jeu fascinant, mais limité.
La séduction a beau être séduisante, elle n'est pas satisfaisante. Elle ne peut l'être. Il lui manque le hasard créateur faisant d'elle un hasard de vie et non de mort que l'on ne trouve que dans le hasard dépassé.
On pense toujours le hasard comme extérieur à soi. Posons le comme inattendu, il devient intérieur à la pensée. La vie est riche, bien plus riche qu'on ne le pense. Surabondante, elle produit sans cesse des effets auxquels on ne s'attend pas, survenant sans que l'on sache comment ni d'où. À ce stade, on n'est plus dans une logique de l'accident ou bien encore de l'occasion mais du mystère et, plus encore de la grâce. Logique ô combien enrichissante, pour peu qu'on prenne la peine d'y entrer.

Jonathan WEITZMAN : Le paysage épigénétique… et le hasard
Le domaine de la génétique soulève plusieurs questions mystérieuses sur le rôle du hasard dans la définition de notre identité biologique. L'observation qu'un seul génome peut donner lieu à une multitude d'états phénotypiques pose la question de savoir comment la plasticité phénotypique est générée et maintenue. Le domaine de l'épigénétique explore cette question et s'est récemment concentré sur les mécanismes moléculaires pouvant expliquer la variation non-génétique. L'état épigénomique influence les schémas d'expression des gènes avec des conséquences sur les phénotypes cellulaires. Les caractéristiques moléculaires de l'épigénome peuvent représenter un mécanisme permettant d'intégrer les signaux environnementaux et de maintenir les réponses aux signaux environnementaux. Cette question importante concerne la manière dont les signaux environnementaux pourraient être convertis en mémoire épigénomique à long terme et les mécanismes sous-jacents à la stabilité et à la transmission de cette information non-génétique. De cette manière, l'état épigénétique est une conséquence des interactions aléatoires entre le génome et l'environnement.

Jonathan Weitzman est professeur de génétique à l'université Paris Diderot depuis 2006. Il était le directeur fondateur du Centre Épigénétique et Destin Cellulaire (UMR7216). Il dirige plusieurs initiatives interdisciplinaires dont le Laboratoire d'Excellence "LABEX Who Am I?", un consortium de recherche axé sur les questions d'identité. Il est également le coordinateur de l'Académie Vivante, un projet Art-Science. Il est membre senior de l'Institute Universitaire de France (IUF). Jonathan enseigne la génétique, l'épigénétique et la biologie des cellules souches à des étudiants de tout âge. Il est le co-directeur du Magistère européen de Génétique à l'université Paris Diderot et de l'École Universitaire de Recherche G.E.N.E. Ses recherches portent sur la compréhension des réseaux régulateurs géniques et sur les facteurs épigénétiques contribuant à la maladie. Il a publié plus de soixante articles dans des revues internationales et son premier livre 30 Second Genetics ["3 minutes pour comprendre les 50 découvertes fondamentales de la génétique"] a été publié en 2018.
twitter.com/Epigenetique | about.me/jonathan.weitzman


SOUTIENS :

• Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
ISTE Éditions