RÉSUMÉS :
Daniel BILOUS: Récriture
à Loisirs
En textique, la
récriture avisée est ce procès
par lequel un écrit, supposé défectueux à quelque
égard, se voit rectifier dans un ordre toujours un tant soit peu suggéré
par ses dispositifs mêmes: soit la
représentation soit
la
métareprésentation. De ce point de vue,
Les
loisirs de la poste de Stéphane Mallarmé offrent l'exemple
fort net d'une orientation savoureusement ambiguë: comme
adresses
en vers, les quatrains escomptent, — parce qu'ils visent un destinataire dont,
en vertu du code postier, le nom s'y inscrit —, un effet de
représentation
(la sanction pragmatique en est, au fond, l'arrivée du pli) ; mais
comme adresses
en vers, ils relèvent non moins, disons, d'un
surcodage poétique et présentent, avec un réseau de
structures aussi voyantes que relativement indépendantes de la communication
postale, maints effets de
métareprésentation.
Or, le travail de l'écrit pour installer efficacement tel ou tel
régime, la dialectique entre les impératifs d'un code et les
contraintes d'un surcode, rien ne permet de les observer mieux que les "repentirs",
si ce n'est l'éventail des versions concurrentes du même quatrain.
Sur un corpus de quelques performances assorties de leurs variantes ou
corrections attestées — et sans s'interdire la production de nouveaux
avatars —, on se propose donc d'étudier, sous l'angle textique, la
logique à l'œuvre en ces reprises.
Philippe BUSCHINGER: La typographie,
programme de réinscriptibilité potentielle
L'écrit se révèle sous une forme visible qui n'est
autre que la forme momentanée de sa présentation typographique.
Cette présentation variant selon les paramètres typographiques
utilisés, des effets se trouvent ainsi générés
qui appartiennent en propre à la forme visible que la typographie inscrit
et détermine à chaque fois totalement. On envisagera ici plus
particulièrement le mot-objet, qui permet, plus aisément peut-être
dans un premier temps que le mot intégré, d'analyser précisément
les modalités selon lesquelles la typographie dispose ses paramètres
et génère conjointement des effets.
L'étude de ces effets et de leur éventuelle pertinence sera
censée faire saillir que l'écrit, plus que jamais, doit apparaître
sous la forme d'un inscrit possible parmi d'autres potentiels, et qu'il
peut soit y gagner, soit y perdre à être réinscrit.
Marc PARAYRE: Récrire en fiction
un exercice d'orthographe
L'une des critiques les plus importantes adressées par la grammaire
dite de texte à la grammaire dite de phrase est que l'objet de cette
dernière tend à passer pour autonome, en ce qu'il se coupe
artificiellement de la langue. De la sorte, pour aussi pertinent qu'il puisse
paraître, tel exercice extrait de l'évaluation nationale à
l'entrée en sixième, portant sur la construction d'un sens logique,
par le lecteur, à partir de questions annexes centrées sur
des indices orthographiques, nous a semblé limité, mais potentiellement
prometteur. Une réécriture s'imposait donc, soumise aux contraintes
induites par le script original.
La première transformation a consisté en une mise en fiction
et un développement de l'exemple proposé. Les changements
effectués dans les deux versions suivantes ont été
fonction de quelques rtemarques de lecture et tendent presque tous à
offrir au lecteur une part d'autonomie plus grande mais en lui rendant la
tâche plus difficile.
Jérôme PEIGNOT: De la typoésie
Depuis que l'alphabet romain existe, n'attendant qu'une occasion pour apparaître,
les images sont là sous les mots, qui en susurrent le sens. Et si
seulement quelqu'un voulait bien témoigner d'un regain de liberté
de plus, semblent-ils dire. Mais peut-être le temps n'était-il
pas encore venu. Fort de 3500 ans d'usage de l'alphabet, l'abstractioon n'avait
toujours pas donné sa pleine mesure. A moins que nous ne fussions
pas encore suffisamment revenus des prétendues aptitudes de l'abstraction
à exprimer le réel dans toute sa complexité?
Si j'ai décidé de proposer ici l'esquisse d'un dictionnaire,
c'est pour démontrer qu'enfin il est parfaitement possible sinon de
faire passer toute la langue du côté des images, du moins d'y
faire basculer des pans entiers de notre vocabulaire. Mieux encore, travaillant
à ceci, j'ai fini par prendre conscience que, la plupart du temps,
le fait, avec eux, de dessiner ce à quoi les mots se réfèrent
fait déboucher sur bien plus que sur la vision, disons, prosaïque
de leur référent. Elle met à jour un sens auquel jusqu'alors
personne n'avait encore songé à faire un sort. Dans les meilleurs
moments, il était indéniable, en effet, que ce langage-là
parlait tout seul, révélant une véritable face cachée
du réel.
Jean-Claude RAILLON: Pages sur pages
Le support des pages impose aux écrits une double contrainte de
format et d'ordre. A la diversité de leurs structures, la contrainte
de format assigne les limites d'un espace commun. A leurs agencements sur
place, la contrainte d'ordre ajoute d'autres relations dans l'épaisseur
du volume. Avec quelles conséquences? La question sera examinée
dans le domaine iconique à la lumière du concept textique
d'
autoreprésentation.
Jean RICARDOU: Logique du RAPT
Dans la mesure où la textique propose, d'ores et déjà,
à deux niveaux, une
théorie exhaustive des structures
de l'écrit, elle possède la faculté de relancer, et
l'analyse, et la critique, et la récriture.
L'
analyse? Oui, car elle est en mesure de faire saillir, et de concevoir
au sein d'un cohérent ensemble théorique, non seulement ce
que l'on peut nommer des structures triviales (celles qui sont perceptibles
hors la textique), mais encore ce que l'on peut nommer des structures spéciales
(celles qui sont surtout perceptibles avec la textique).
La
critique? Oui, car elle est en mesure de faire paraître,
et de concevoir au sein d'un cohérent ensemble théorique, non
seulement les structures réussies, dites
orthostructures,
mais encore les structures défectueuses, dites
cacostructures.
La
récriture? Oui, car, dès lors qu'une structure
apparaît comme défectueuse, l'
analyse se trouve aussitôt
prolongée. En effet, cette
cacostructure peut être deux
choses: ou bien, la trace locale d'un accomplissement structural d'ordre
supérieur (et, comme, dans ce cas, elle change de statut, elle est
nommée un
palinode) ; ou bien une défectuosité
sans rebondissement (ce qui incline à se demander si elle est inhérente
ou extrinsèque à l'écrit, bref suppose une
épreuve
de récriture). En effet, selon qu'il sera loisible ou non de
la faire disparaître, cette faille sera déclarée extrinsèque
ou inhérente à l'écrit en cours d'analyse.
Dès lors on appelle
RAPT, ou Récrit Avisé Par
la Textique, le résultat de cette épreuve par laquelle l'analyse
va au terme, trop souvent oublié, de son exercice, ou si l'on préfère,
par laquelle, s'agissant de l'écrit, la théorie et la pratique
s'articulent
en toute nécessité.
L'on donnera, ici, à l'
épreuve de récriture un
double objectif: d'une part, le traitement d'une
cacostructure triviale
(une
cacoscripture, en l'espèce) et d'une
cacostructure
spéciale (en l'espèce, une
cacotexture) ; d'autre
part, le traitement d'une zone scriptuelle assez large et le traitement
d'une zone scriptuelle plutôt exiguë. C'est pourquoi cette contribution
eût pu s'intituler aussi bien:
Récrire en gros et en détail.
Michel SIRVENT: Problèmes du réinscrit
Raturer, effacer, ajouter, remplacer sont des gestes communs à toute
récriture. Ce faisant, l'on transforme ou modifie la "lettre" d'un
écrit: l'on touche à son "intégrité" lexicale
ou syntaxique. Or un
écrit, au sens textique du terme, ne
saurait se réduire à son "texte", à cette "part" verbale.
Dès qu'on le "transcrit", soit qu'on le recopie ou le transfère
en un site d'autre sorte (d'un écran d'ordinateur à une imprimante,
d'un transparent à une surface de projection, d'un logiciel de traitement
de "texte" à un autre), soit qu'on le cite pour l'insérer
dans un autre écrit ou le re-produise suivant une nouvelle édition),
un écrit, quel qu'il soit, ne demeure en ce procès que rarement
le "même". Sa lettre n'en fût-elle absolument point changée,
ce n'est jamais "tel qu'en lui-même" qu'il se re-présente à
nos sens. Il est sujet à
variations, que cela affecte sa mise
en page, son emplacement, son entour, voire ses aspects typographiques.
Ainsi, ce que l'on entend généralement par "transcription"
s'apparente davantage à une
trans-scription,
que l'on
nommera une
re-inscription, et son résultat, à un réinscrit
ou, encore, un
rinscrit. L'on dit en textique, qu'à chaque
occurrence, c'est à un nouveau
morphoscrit auquel on a affaire.
Il se trouve qu'un secteur de la récriture ne semble guère
interrogé: celui relatif au procès de
re-inscription
d'un écrit. Un exemple insigne? "Salut" de Stéphane Mallarmé.
L'on observera qu'au gré de ses rééditions ou citations,
cet écrit est, sous l'angle
morphoscriptuel, un objet incessamment
soumis à métamorphoses. L'enjeu? C'est qu'à chaque nouveau
rinscrit ou
morphoscrit, ce qui change, c'est la moins ou
plus grande
visibilité, ou
détectabilité
des structures, quelles qu'elles soient.
Nicolas TIXIER: Récrire l'espace
Réhabiliter, rénover, construire, s'implanter, démolir,
raser, habiter, déserter, s'approprier, transformer, emménager,
déménager, embellir, dégrader... Tous ces verbes engagent
dans et sur l'espace des actes experts autant que des actions ordinaires.
La question de la récriture de l'espace sera abordée par
trois constatations en forme de propositions suivies d'une conclusion:
1) Tout projet construit est récriture d'un contexte ;
2) Toute architecture est toujours en récriture :
3) Habiter c'est récrire l'espace.
Mais si la récriture est autant intrinsèque à tout
projet, alors projeter cela pourrait être "permettre d'écrire".
Gilles TRONCHET: Au péril de
polir: critères de la récriture
Jusqu'à présent, l'approche théorique de la récriture
en textique passe par une articulation entre les opérations de lecture
et d'écriture qui met l'accent sur une relance de la seconde par la
première, selon un prolongement, un accomplissement plus abouti de
l'écrit, laissant intacts par ailleurs le maximum de ses aspects. L'examen
attentif par les lecteurs d'un écrit dont ils ne sont pas en général
les scripteurs débouche sur les modalités de la récriture
désignée comme RAPT, ou Récrit Avisé Par la Textique.
La question se pose alors de savoir dans quelle mesure la textique pourrait,
sans renoncer à la précision de ses analyses et des interventions
envisagées sur un écrit, rendre compte d'une refonte plus
globale, qui ne vise pas seulement des perfectionnements ponctuels, mais
la mise en place d'un nouveau programme d'écriture, plus satisfaisant
au regard de la logique qui a présidé à la production
de l'écrit observé. En particulier, une telle transformation
en modifiant les contraintes que s'impose le rescripteur, seront susceptibles
d'avoir des répercussions majeures sur la teneur représentative
de l'écrit.
Une telle démarche concerne en particulier l'autorescripteur, quand
il s'attache à remanier l'écrit que lui-même a produit.
En ce cas, le risque étant de procéder à un bouleversement
aveugle, selon l'arbitraire du goût personnel et de l'intuition, la
récriture à la loupe, sans pour autant restreindre le champ
des opérations, doit permettre d'éviter une récriture
à la louche.
Dolores VIVERO: La pièce
démontée
L'écrit comporte d'ordinaire des relations d'équivalence
idéelle plus ou moins nécessaires à la construction
d'un effet de représentation cohérent. Toutefois, pour le
lecteur occupé par la construction de cet effet, la plupart de ces
relations, surtout lorsqu'il s'agit d' équivalences partielles, passent
inaperçues. Nous tenterons de montrer que pour qu'elles deviennent
remarquables il faut un surcroît structural obéissant à
une contrainte supplémentaire à celles imposées par
les règles de la langue ou par les normes de la cohérence
discursive. Nous spécifierons, ensuite, certaines des modalités
par lesquelles se manifestent ces structures. Pour cette démonstration,
nous partirons d'une analyse de la célèbre description de la
pièce montée dans
Madame Bovary.